top of page

Natacha Ezdra a pris la plume pour nous conter le parcours d’un spectacle construit comme une fête à Ferrat, intitulé Un jour futur. Cinq ans après la disparition de l’artiste, ses mots résonnent furieusement avec l’actualité. L’Humanité a filmé ce tour de chant à Paris et dans le Nord. (Propos recueillis pas Laurence Mauriaucourt - Journaliste à "L'Humanité" -)

« Un jour futur », l’histoire d’un spectacle, par Natacha Ezdra :

«Ce spectacle, je l’avais en tête depuis des années... Depuis ce duo de la Matinée avec Allain Leprest lors d’une soirée hommage à Ferrat, en sa présence. C’était en 2000 au festival «Chansons de paroles» à Barjac, dans le Gard. Cependant, j’avais besoin de cheminer encore dans la chanson avant d’aborder ce répertoire. J’avais besoin d’acquérir une certaine expérience, une maturité en tant qu’artiste et qu’interprète. Il faut dire que je ne voulais pas le décevoir... Jean Ferrat faisait partie de la famille depuis ma naissance.

Je suis née dans un milieu d’artistes. J’ai grandi en ayant dans mon entourage proche, des personnes comme Christine Sèvres, Isabelle Aubret, Francesca Solleville, Georges Coulonges, Paul Castagnier, Sim... Ils étaient les amis de mes parents, Jacques Boyer et Odile Ezdra. Et il se trouve que l’un d’entre eux, Jean Ferrat, a été davantage encore sous les feux des projecteurs. Je n’ai jamais vu Jean comme la vedette qu’il était, je ne me rendais pas compte de ça. Il a toujours été bienveillant, attentif et de bon conseil. Il ne manquait pas de venir voir mes spectacles dès que l’occasion se présentait et prenait le temps de me communiquer son ressenti, ses impressions, ses questionnements sur telle ou telle chanson ou qualité d’un enregistrement. Entendre le texte, la voix devant la musique, c’était très important à ses yeux.

 

Une «palette» assez large de l’œuvre de Ferrat

En 2008, je lui faisais part de mon projet de lui consacrer un spectacle, par l’intermédiaire de Jacques Boyer, qui a été durant les dix années de scène de Jean Ferrat, à la fois son administrateur de tournée, son chauffeur, son régisseur lumières et, parfois même, il assurait les premières parties du spectacle, étant lui­-même chanteur et comédien. Mais il a surtout été son ami fidèle durant cinquante ans.

 

J’ai, donc, entrepris la création de ce spectacle en commençant par réécouter près de 200 chansons et j’ai essayé de garder une «palette» assez large de l’œuvre, mettant en évidence les multiples facette de l’homme et de l’artiste qui sont indissociables. Je porte ces chansons depuis toujours, elles sont en moi. Le travail d’interprétation coulait de source et je me suis davantage attachée à imaginer de nouvelles orchestrations. Pour cela, j’ai fait appel à Patrick Reboud avec qui je travaillais déjà depuis quelques années et auquel j’ai confié la direction musicale. Je souhaitais une formation accordéon, guitare, percussions. Ainsi, une véritable famille, très impliquée, s’est formée autour de ce spectacle. Nous ont rejoint : Christophe Sacchettini (flûtes, percussions, cornemuse du centre, clarinette bambou), Dominique Dumont (guitares) aujourd’hui remplacé par Yves Perrin, Dominique Laperche au son, Stéphane Dutoict aux éclairages et à la création lumières, Jacques Boyer pour la mise en espace, Pierre Margot et Tess pour les textes enregistrés qui ponctuent des périodes du spectacle.

Jean terminait ses textes par une note d’espoir

La création a eu lieu en décembre 2009, à Antraigues­ sur­-Volane, en partenariat avec le village et avec la complicité de Jean Ferrat que je suis allée voir, chez lui, à sa demande le 13 décembre 2009. Nous avons parlé de cette résidence de création qui débutait dès le lendemain, intitulée sciemment «Un jour futur», sorte de clin d’œil à l’esprit de Ferrat, qui avait la caractéristique de souvent terminer ses textes par une note d’espoir... Je lui ai demandé l’autorisation d’utiliser en fond de scène deux portraits de lui, nous avons évoqué les adaptations musicales des chansons. Je me souviens très bien de son inquiétude sur le fait de réorchestrer Nuit et Brouillard. Il a été rassuré dès la première écoute... Puis il m’a fait le cadeau de me donner « carte blanche », c’est son expression. Toutefois, il souhaitait voir le spectacle. Ne pouvant sortir de chez lui, la première a été filmée spécialement pour lui par Benoît, le mari de Véronique Estel, la fille de Christine Sèvres, première épouse de Jean. 

Quelques jours plus tard, les derniers mots que j’ai échangé avec lui, par téléphone, ont été très émouvants. Me remerciant chaleureusement pour ce spectacle avec une telle humilité, générosité... Je me souviens lui avoir répondu : « Tu plaisantes, Jean, c’est moi qui te remercie... », j’étais à court de mots tant j’étais émue et encore aujourd’hui j’ai du mal à me remémorer cet instant sans une très grande émotion...

Son public lui ressemble

Dès la première soirée, complète, à La maison d’Antraigues, nous avons rencontré un immense enthousiasme de ce public antraiguais, si proche de Jean. Le « pari » était gagné !

La suite inattendue et beaucoup moins plaisante, que chacun sait, a été un choc et une terrible douleur. Notre spectacle prenait, alors, une dimension différente tout en continuant à célébrer Jean dans une véritable fête ! J’y tiens car nous n’avons jamais envisagé ce spectacle comme un hommage mais bel et bien comme une fête à Ferrat !

Depuis, nous avons eu le bonheur de le jouer plus de cent-cinquante fois en France et à l’étranger et pratiquement toujours à guichet fermé. Chaque fois, la « magie » opère et nous multiplions de bien belles rencontres. Nous partageons des moments intenses, nous recevons des témoignages forts d’amour et de fraternité à l’image de Jean. Son public lui ressemble ! Les gens sont séduits par nos adaptations musicales, par la qualité des musiciens, le choix des chansons, la dynamique que nous apportons, ensemble, dans une grande complicité. Je me suis rendu compte à quel point Ferrat représente un moment de vie, un souvenir, une anecdote chez chacun et chez tous ! C’est incroyablement beau ce pouvoir qu’il a de rassembler !

Ce DVD : une aventure humaine

Parmi ces rencontres incroyables, il en est une que je tiens, ici, à souligner. Notre rencontre avec Gérard Fournier, (qui a été jusqu’à peu l’administrateur du PCF et qui est toujours directeur de l’Espace Oscar Niemeyer à Paris). Il est un formidable ambassadeur de ce spectacle et avoir pu jouer sous la coupole de l’Espace Niemeyer, d’où le DVD qui paraît aujourd’hui, restera incontestablement un très grand souvenir de cette aventure humaine. Je n’ai jamais, jusqu’ici, vécu une telle expérience. 

Une nouvelle année commence. Il y a quelques semaines, le 26 décembre, Jean Ferrat aurait eu 85 ans. Je pense à lui en ce moment plus que jamais au travers de ces mots : « C’est un autre avenir qu’il faut qu’on réinvente sans idole ou modèle, pas à pas, humblement, sans vérité tracée, sans lendemains qui chantent, un bonheur inventé définitivement. Un avenir naissant d’un peu moins de souffrance avec nos yeux ouverts en grand sur le réel. Un avenir conduit par notre vigilance envers tous les pouvoirs de la terre et du ciel. Au nom de l’idéal qui nous faisait combattre et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui. » 

bottom of page